[프랑스어 원문] 신자유주의에 매료된 ‘G’그룹의 착각

Nouveaux quadrilles dans le ballet des G

2009-10-08     베르나르 카상 | 파리8대학 명예교수

POUR TOURNER AUTOUR DU POT NÉOLIBÉRAL…

Nouveaux quadrilles dans le ballet des G

La prolifération des « G » – configurations ad hoc d’Etats – ne traduit-elle pas le refus d’affronter globalement l’ébranlement du système capitaliste dont les crises financière, monétaire, énergétique, alimentaire et environnementale ne sont que des composantes ? Le G20, qui s’est réuni à Pittsburgh les 24 et 25 septembre, se veut le nouveau directoire de la planète. Il ne dispose pourtant ni de la légitimité nécessaire ni d’un projet de rechange à un mode d’organisation du monde qui a failli.

Par BERNARD CASSEN

A quand un prochain G qui viendrait s’ajouter à une liste déjà bien fournie, et qui va, à ce jour, du G2 au G192 si l’on y inclut l’Assemblée générale des Nations unies ? Cette prolifération est récente. Après la disparition de l’Union soviétique, en effet, les seuls regroupements internationaux de forte visibilité, et dotés de ce préfixe par commodité médiatique, étaient, d’un côté, le G77 et, de l’autre, le G7 devenu G8 (voir glossaire ci-contre). Sur le papier, les choses étaient fort simples : face au groupe des nombreux pays dits en développement, celui des quelques Etats qui, sous la férule de Washington et de son bras armé – l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) – décidaient des affaires du monde, sans autre mandat que celui qu’ils se donnaient à eux-mêmes.

Gardien d’un ordre économique qui se confond avec les intérêts des grandes entreprises transnationales et de la finance globalisée, le G8 en est venu à concentrer sur lui l’hostilité générale. Non seulement celle, contenue, des gouvernements qui, même s’ils en partageaient la logique politique, en étaient exclus, mais aussi et surtout celle des mouvements sociaux et citoyens qui dénonçaient l’illégitimité de ce club des riches. En juillet 2001, à Gênes, la confrontation atteignit son paroxysme avec la violente répression menée par la police de M. Silvio Berlusconi qui laissa derrière elle un mort et des centaines de blessés.

Huit ans et une crise systémique du capitalisme plus tard, le Sommet du G8 réuni à nouveau en Italie en juillet dernier n’a pas suscité de forte mobilisation hostile. Chacun sentait bien, en effet, qu’il avait quelque peu perdu la main, et que les affaires du monde devaient désormais se discuter à un niveau plus représentatif. D’ailleurs les organisateurs avaient pris la précaution d’inviter également un autre G, le G5 (Chine, Inde, Afrique du Sud, Brésil, Mexique), pour se réunir en formation de G13 (8 + 5), devenu G14 avec l’incorporation de l’Egypte. Sans compter une rencontre avec les dirigeants de cinq pays d’Afrique, et une autre avec des Etats (Corée du Sud, Australie, Indonésie et Danemark) directement impliqués dans les négociations qui déboucheront sur la Conférence des Nations unies sur le changement climatique prévue à Copenhague du 7 au 18 décembre prochain.

Dans l’intervalle, du 30 novembre au 2 décembre, se sera tenue à Genève la 7ème conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sorte de G153 dont l’ambition est d’aboutir à la conclusion, en 2010, du cycle de négociations commerciales lancé en 2001 à Doha (Qatar).

Comme le déclin, voire, à terme, la disparition du G8 paraissent inéluctables, deux nouveaux G entendent jouer les repreneurs de son rôle de directoire mondial : le G20 et, de manière subreptice, son noyau dur qu’est le G2. Le G20 obéit à une stratégie de cooptation du G8 : préserver contre vents et marées le modèle néolibéral à l’échelle planétaire, en le parant de nouveaux habits et en le faisant cautionner par une douzaine d’autres pays. Ses trois premiers Sommets tenus au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement (à Washington en novembre 2008, à Londres en avril 2009 et à Pittsburgh les 24 et 25 septembre) se sont conclus par de longues déclarations sur les moyens de juguler la crise, mais sans aucune mesure véritablement contraignante.

Le G2 (Etats-Unis et Chine) est d’appellation journalistique plus récente. S’il paraît à ce jour excessif de parler de « Chinamérique » , il ne faut pas pour autant sous-estimer la portée du changement d’appellation des rencontres bi-annuelles entre Washington et Pékin. Jusqu’à leur récente session des 27 et 28 juillet 2009 dans la capitale américaine, il s’agissait d’un « dialogue économique stratégique ». Il est maintenant question d’un dialogue « économique et stratégique ». D’où la présence, aux côtés du vice-premier ministre chinois, M. Wang Qisham, non seulement du secrétaire au Trésor Timothy Geithner, mais aussi de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton. Le « et » nouvellement introduit fait toute la différence : l’ensemble des dossiers mondiaux est désormais sur la table de négociation entre les deux géants. Et si ce G2 se met d’accord, il entraînera le G20 derrière lui sans trop de difficultés.

Cela au grand dam des superstructures de l’Union européenne (UE) qui voudraient bien que ce G2 se transforme en G3… Ce que justifierait sans aucun doute le poids économique de l’Union, mais qu’interdit son incapacité structurelle à parler politiquement d’une seule voix. Ses principaux Etats membres se satisfont d’ailleurs pleinement de leur appartenance au G8 et au G20. Ils n’ont nulle envie de s’embarrasser des avis de l’Estonie, de la République tchèque, de la Pologne, etc., qui pratiqueraient une surenchère atlantiste, comme le soulignait récemment le secrétaire d’Etat allemand à l’intérieur, le chrétien-démocrate Peter Altmaier : « Les pays de l’élargissement ont adhéré à l’Union européenne pour des raisons économiques, mais ils prennent leurs décisions politiques avec les Américains ».

S’il est un point qui fait l’unanimité entre les membres des G2, 8 et 20, c’est bien la volonté de tenir à l’écart la configuration la plus nombreuse et la seule pleinement légitime au niveau international : le G192, c’est-à-dire les 192 Etats membres de l’ONU. On en a eu récemment une démonstration spectaculaire avec le sabotage organisé de l’initiative du président de l’Assemblée générale de l’Organisation, le Père Miguel d’Escoto, de réunir en juin 2009, à New-York, une Conférence des Nations unies sur la crise financière et économique mondiale et son impact sur le développement . Donc une rencontre sur un sujet central, et qui, de plus avait été préparée par un rapport établi par une commission présidée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. De quoi allécher les chefs d’Etat et de gouvernement, en premier lieu ceux du G20, conviés à y participer…

Or, malgré un report de trois semaines de la Conférence, destiné à s’assurer de leur présence, aucun de ces dirigeants n’a trouvé le temps de s’y rendre. En particulier M. Nicolas Sarkozy qui, quelques semaines plus tard, allait pourtant traverser l’Atlantique pour assister, à New-York, au show de son épouse Carla Bruni. Les grands médias ont évidemment participé à cette conspiration du silence. Tout se passe comme si cette Conférence n’avait pas eu lieu.

En partie à l’origine de ce boycottage, le rapport Stiglitz, sans pour autant sortir des limites d’un libéralisme bien tempéré, avait notamment le tort d’incriminer « la disparité croissante des revenus dans la plupart des pays » comme l’une des principales causes de la crise. Etait ainsi posée la question taboue : celle de l’explosion des inégalités, en premier lieu aux Etats-Unis, épicentres d’un séisme dont le mécanisme a été fort bien décrits .

On peut le résumer sommairement comme suit : c’est la stagnation ou la baisse des revenus du travail – la « déflation salariale » – dans ce pays, en même temps que la nécessité politique d’y maintenir à tout prix la croissance, qui a entraîné le recours massif à l’endettement des ménages, notamment pour l’acquisition de logements. Par le biais de la « titrisation » des crédits hypothécaires (subprimes), on a assisté à la dissémination transfrontières d’actifs que les établissements financiers savaient d’emblée « toxiques ».

On connaît la suite : éclatement de la bulle immobilière ; faillite des banques les plus exposées, ensuite renflouées par le contribuable ; contamination de l’ensemble de la finance mondiale, puis de l’économie réelle – tout particulièrement dans les pays qui avaient adopté le « modèle » américain (Espagne, Irlande, Royaume-Uni) ; récession ; bond du chômage ; plans de relance, etc.

Si le départ de feu de la crise est imputable aux subprimes et si les banquiers et traders se sont comportés – et continuent de le faire – en pyromanes, il faut remonter plus haut pour comprendre les raisons profondes de l’embrasement général. Elles ne tiennent pas seulement à des comportements individuels, si scandaleux qu’ils soient, mais à l’arrière-plan idéologique, politique et réglementaire qui les a permis, voire encouragés, et qui est encadré par les deux piliers du néolibéralisme : le libre-échange et la liberté de circulation des capitaux.

Le premier grâce à l’exploitation, notamment par les multinationales, des différentiels de normes sociales, fiscales et écologiques entre pays (y compris au sein de l’Union) et régions du monde, ainsi que par la délocalisation des unités de production des pays développés vers les pays à bas salaires, ce qui induit une pression permanente à la baisse de la rémunération du travail ; la seconde, en particulier via les paradis fiscaux, comme vecteur de propagation du sinistre.

Ni le G8 ni le G20, ni même le rapport Stiglitz ne franchissent pour autant la ligne rouge de la remise en cause de ces deux piliers idéologiques. Bien au contraire, ils les présentent comme des facteurs de sortie de la crise ! Ils se prononcent ainsi pour de nouveaux accords de libéralisation lors de la prochaine conférence ministérielle de l’OMC qui, entre autres conséquences néfastes, entraîneraient une augmentation du volume des échanges, donc du transport, donc des émissions de gaz à effet de serre . Dans une démarche totalement schizophrène, ils se prononcent simultanément pour le succès de la Conférence de Copenhague sur le changement climatique dont l’objectif est précisément de limiter ces mêmes émissions…

On mesure là le degré d’incohérence de dirigeants incapables d’appréhender globalement des problèmes interdépendants. Pendant des décennies, c’est l’utopie d’un marché autorégulé par la « concurrence libre et non faussée » (traité de Lisbonne) qui, sous la tutelle vigilante de la finance internationale et des grands groupes industriels, leur a servi de boussole politique, même s’ils lui faisaient à l’occasion de menues entorses. Ils constatent que, dans sa forme actuelle, le capitalisme a épuisé sa force propulsive et pourrait même s’autodétruire. Plutôt que de tenter d’élaborer un autre modèle, nécessairement plus égalitaire, plus solidaire et surtout moins nocif pour la biosphère, ils s’évertuent à le maintenir à flot. A supposer – hypothèse audacieuse – qu’ils aient la volonté et la capacité de le remettre en cause, convenons que leur tâche ne serait pas facile tant les pressions exercées sur eux pour ne rien changer sont gigantesques. Aussi, dans l’incessant ballet des G, un quadrille chasse rapidement l’autre, mais toujours pour tourner en rond autour du même pot néolibéral.

Seul le G192, l’Assemblée générale des Nations unies, pourrait permettre d’entendre un son de cloche alternatif, le seul qui, au niveau gouvernemental, rompe aujourd’hui avec les canons des autres G : celui de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (ALBA). L’ensemble des neuf Etats qui la composent a certes un poids modeste à l’échelle mondiale, mais il est déjà devenu un pôle de référence, et même d’attraction, dans les Amériques. Pour éviter toute contagion dans d’autres continents, mieux vaut ne lui offrir que le minimum de tribunes…