Mourir pour Hamid Karzaï ?

[원문] 왜 아프간에 목숨을 거나?

2009-11-09     Serge Halimi

Mourir pour Hamid Karzaï ?

Après avoir présenté les combats en Afghanistan comme une « guerre nécessaire », le président Barack Obama est pressé par le général Stanley McChrystal, qu’il a lui-même nommé à la tête des forces américaines dans ce pays, d’y déployer quarante mille soldats supplémentaires. La guerre dure depuis huit ans.

En Indochine, les Etats-Unis appuyèrent une pléiade de gouvernements corrompus, illégitimes, perçus comme fantoches par la population. Sans succès. En Afghanistan, ni les Britanniques ni les Soviétiques ne purent s’imposer en dépit des moyens qu’ils engagèrent. Aujourd’hui, bien que les pertes militaires américaines demeurent relativement modestes (huit cent cinquante morts depuis 2001, contre mille deux cent par mois au Vietnam en 1968), et le mouvement anti-guerre atone, quelles perspectives de « victoire » peuvent escompter des armées occidentales perdues dans les montagnes afghanes, les trafics de drogue , et suspectées de guerroyer contre l’islam ?

Ministre français des affaires étrangères, M. Bernard Kouchner espère toutefois « gagner les cœurs avec un gilet pare-balles . » De son côté, le général McChrystal prétend : « Notre affaire, ce n’est pas de tuer le maximum de talibans, mais de protéger la population . » Une idée commune sous-tend de telles proclamations, au-delà du cynisme : celle que le développement social et les opérations de guerre peuvent être menés de front dans un territoire où pourtant il est impossible de distinguer les insurgés des civils. Au Vietnam, le journaliste américain Andrew Kopkind avait résumé d’une formule assassine ce genre de « contre-insurrection » : « bonbons le matin, napalm l’après-midi. »

A défaut d’espérer vaincre un jour des combattants nationalistes et religieux dont Washington a pu apprécier la pugnacité quand, avec son concours, ils s’employaient à saigner à blanc l’Union soviétique, les Etats-Unis aimeraient que se distendent les liens, déjà fragiles, entre les talibans et les militants d’Al-Qaida . Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, c’est pour anéantir les seconds que Washington a déployé en Asie centrale ses soldats et ses drones, pas par souci de scolariser les petites Afghanes ou de défendre les droits humains.

S’il refuse l’escalade militaire que réclament les néoconservateurs, le nouveau prix Nobel de la paix devra donc bientôt expliquer à son opinion publique qu’on réalise rarement le bonheur des peuples en les bombardant et en les soumettant à une occupation armée ; que les disciples de M. Oussama Ben Laden ne comptent plus qu’une poignée de rescapés en Afghanistan ; enfin, qu’un éventuel compromis avec des talibans disposés à composer avec leur fanatisme d’antan (lire l’article de Patrick Porter pages 8 et 9) ne menace pas la sécurité nationale des Etats-Unis. La Russie, la Chine, l’Inde, le Pakistan, qui n’ont guère intérêt à ce que ce foyer de tension régional demeure aussi purulent, pourraient œuvrer dans le sens d’un règlement négocié. Engager sa vie pour la « démocratie » en terre étrangère constitue déjà un pari singulier ; faut-il vraiment mourir pour M. Hamid Karzaï ? Et s’y résoudre alors que de l’aveu même du général McChrystal, le « maire de Kaboul », maintenu en place par la fraude électorale, a réalisé la prouesse de rendre une fraction du peuple afghan « nostalgique de la sécurité et de la justice du régime taliban »…

Bien que près de trente-cinq mille soldats britanniques, allemands, français, italiens, etc., combattent les insurgés aux côtés des militaires américains, toutes ces questions paraissent ne pas concerner les dirigeants européens. Plus que jamais, les choix de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) sont arrêtés à Washington. A Paris, le président Nicolas Sarkozy vient d’annoncer qu’il n’enverrait « pas un soldat de plus » combattre les talibans. Mais il a ajouté : « Faut-il rester en Afghanistan ? Je réponds oui. Et rester pour gagner ». Noyée dans un entretien de deux pages, sa déclaration n’a suscité aucun commentaire. C’était la manière la plus généreuse de réagir…

SERGE HALIMI