[원문] Le Service de renseignement britannique (MI5) entre ombre et lumière

2010-03-08     Jean-Claude Sergeant

Le Service de renseignement britannique (MI5) entre ombre et lumière

Par Jean-Claude Sergeant *

* Professeur émérite à l’Université de la Sorbonne Nouvelle (Paris III).

Jusqu’à la fin des années 1980, le Service de renseignement britannique – Security Service, plus connu sous l’appellation MI5 – chargé de la sécurité intérieure, n’avait qu’une existence virtuelle qui, disait-on, conditionnait l’efficacité de son action. Le renforcement des impératifs de transparence ont fait sortir cette organisation de la zone de furtivité où elle opérait, au point que son directeur général Jonathan Evans a cru devoir publier, le 12 février, un étonnant plaidoyer dans les colonnes du Daily Telegraph. « Nous n’avons jamais infligé de mauvais traitements et nous n’avons jamais pratiqué la torture, pas plus que nous n’y participons de façon indirecte ou que nous n’encourageons quiconque à la pratiquer pour notre compte. » <<번역문 보기>>

Deux jours auparavant, trois juges se prononçaient en appel sur le cas d’un Ethiopien, M. Binyam Mohammed, résidant au Royaume-Uni, arrêté au Pakistan en 2002, détenu et torturé dans différentes prisons en Afghanistan et au Maroc, puis incarcéré à Guantánamo. Informé par la Central Intelligence Agency (CIA) de son arrestation, le MI5 avait dépêché un agent pour procéder à un interrogatoire ; il ne pouvait ignorer les méthodes utilisées par ses homologues.

Le Service de renseignement intérieur se serait bien passé de cette affaire. Elle survient un an à peine après la célébration du centenaire de sa création marqué par la publication de deux épais ouvrages . Le premier, rédigé par l’éminent universitaire Christopher Andrew, se présente comme son histoire officielle et bénéficie, à ce titre, d’un large accès aux archives et d’une préface de l’actuel directeur général. Fruit de la collaboration de deux jeunes historiens, le second – Spooks – propose une biographie « non autorisée » du même Service, gage, a priori, d’une plus grande liberté d’écriture qui ne compense pas un accès limité aux seules sources antérieures aux années 1960.

Andrew retrace avec précision le développement d’un Service longtemps livré à lui-même, et de ses missions. Essentiellement dédié au contre-espionnage, de 1909 à la fin de la Première Guerre mondiale, il s’est ensuite orienté vers le contrôle des activités potentiellement subversives – entendons, celles liées à l’influence communiste – avant de s’investir à nouveau dans le contre-espionnage lors du second conflit mondial.

A partir de 1945, priorité est donnée à la lutte contre l’infiltration du personnel politique par les agents de l’Est, élargie plus tard aux dirigeants des principaux syndicats. La lutte anti-terroriste, d’abord centrée sur les actions de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (PIRA) menées sur le territoire national , à l’exclusion de l’Irlande du Nord, puis, plus tardivement, sur la mouvance islamiste, a ensuite mobilisé l’essentiel des moyens du Service.

Officiellement placé sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, le Service a été sollicité par différents Premiers ministres, à commencer par Clement Attlee (qui succède à Winston Churchill en 1945), notamment lors des poussées d’activisme syndical, depuis la grève des marins de 1966 à celle des mineurs de 1984. Malgré les protestations de ses directeurs généraux, le Service s’est laissé instrumentaliser, au point de placer sous surveillance au début des années 1980 de nombreux membres de l’organisation Campaign for Nuclear Disarmament dont le caractère subversif n’avait rien d’évident.

En 1952, une directive du ministre de l’intérieur Maxwell Fyfe assigna au Service les actions menées par des personnes ou des organisations, avec ou sans le soutien de l’étranger, de nature à subvertir l’Etat. Le Service estimait, lui, que le militantisme ouvrier qui avait entraîné la paralysie du pays lors du « Winter of discontent » (hiver de la colère) en 1978-1979 ne relevait pas de la subversion et que le contrôle des « meneurs » n’entrait pas dans ses attributions. Il n’en demeure pas moins que les micros installés au siège du Parti communiste, à Londres, lui ont permis de suivre les échanges entre les responsables du parti et les dirigeants syndicaux affiliés ou proches de lui, au nombre desquels le dirigeant du syndicat des mineurs (NUM) Arthur Scargill, qui ne l’ignorait pas.

Selon Andrew, ces écoutes, systématiquement autorisées par le ministère de l’Intérieur, n’ont concerné que les dirigeants communistes et trotskistes , dont Scargill perçu comme menaçant la démocratie parlementaire. Andrew dément l’hypothèse d’une participation du MI5 à la surveillance des piquets de grève, l’essentiel de l’action du Service s’étant limité, selon lui, outre les missions de contrôle des militants affiliés aux organisations cataloguées comme subversives, à informer par avance le gouvernement de la stratégie du NUM. Mais Andrew ne dit rien, par exemple, de la source de l’information publiée par le Sunday Times du 28 octobre 1984 faisant état de contacts entre Scargill et le colonel Kadhafi, laquelle a écorné le charisme du stratège du NUM.

Cette histoire officielle, si elle met en valeur les réussites opérationnelles du Service au cours des deux guerres du XXe siècle, n’élude pas les défaillances de l’institution. Le MI5 a été incapable de détecter le noyautage de l’establishment britannique par le « Club des Cinq » recruté parmi les étudiants de Cambridge dans les années 1930 et qui a communiqué au KGB près de vingt mille pages de documents classifiés, avant le passage à l’Est des diplomates Guy Burgess et Donald MacLean en 1951.

Le laxisme des procédures de recrutement, proches de la cooptation, est ici en cause, le Service privilégiant les candidatures de jeunes gens de la bonne société ainsi que celles d’anciens militaires. Ce n’est qu’en 1997 que le Service a rendu publiques ses offres de recrutement, élargissant du même coup son vivier social et sortant de la semi clandestinité dans laquelle il s’était longtemps complu.

La défaillance majeure du Service, que soulignent à la fois Andrew et les auteurs de Spooks, tient à la prise en compte tardive de la menace islamiste. Une mobilisation plus précoce aurait peut-être permis, selon eux, d’éviter les attentats du 7 juillet 2005 à Londres qui ont fait cinquante-deux morts et près de sept cents blessés, même si le Service était convaincu dès 2004 qu’une action terroriste était programmé en Angleterre. Dans sa lettre adressée au Daily Telegraph, le directeur général du Service reconnaît un autre manquement, éthique celui-là : il concerne l’inattention portée aux méthodes de traitement par les Américains des suspects arrêtés après le 11 septembre 2001.