Caracas en quête d’une stratégie de développement

[원문] 경제위기 베네수엘라, 미국 맘대론 안된다

2010-04-09     Mark Weisbrot

Caracas en quête d’une stratégie de développement

Par Mark Weisbrot *

 * Co-directeur du Center for Economic and Policy Research, Washington.

En visite à Brasilia, le 2 mars, la secrétaire d’Etat des Etats-Unis Hillary Clinton dispensait un prêche pour une brebis égarée de l’arrière-cour américaine : « Nous espérons un nouveau départ du gouvernement vénézuélien pour (…) restaurer la propriété privée et revenir à l’économie de marché  ». Rien de nouveau sous le soleil. Alors que, depuis le début de 2003, le Venezuela battait tous les records de croissance économique, les opposants au pouvoir en place, parmi lesquels Washington et la plupart des grands médias internationaux, n’ont cessé « de gémir, se morfondre et d’espérer », pour reprendre le titre de la chanson « Crying, waiting, hoping » du célèbre rocker Buddy Holly. La bulle pétrolière n’allait pas tarder à éclater, écrivaient-ils à longueur de page, appelant l’événement de leurs vœux. <<번역문 보기>>
Mais voilà : en cinq ans et demi, le produit intérieur brut (PIB) réel du pays a progressé de 95 %, la pauvreté a été réduite de moitié et l’extrême pauvreté de plus de 70 %. La dépense sociale par habitant a plus que triplé, tandis que l’accès aux soins médicaux et à une éducation plus solide s’est considérablement amélioré. En 2006, les électeurs ont exprimé leur gratitude en reconduisant le président Hugo Chávez, avec une majorité de 63 %, la plus forte qu’il ait jamais obtenue.
Toutefois, avec l’entrée en récession des Etats-Unis, fin 2007, l’économie commence à marquer le pas. Au dernier trimestre 2008, le cours du pétrole chute lourdement sur les marchés mondiaux, passant d’un niveau record de 99,5 euros le baril à 29,7 euros. Le Venezuela renoue alors avec la crise économique, pour la première fois depuis les grandes grèves du secteur pétrolier en 2002-2003 ; son PIB recule de 3,3 % en 2009. Les vœux des ennemis de M. Chávez sont enfin exaucés. Comme après la période d’euphorie de 1973-1977, lors du premier choc pétrolier, la manne tarie ne peut qu’entraîner l’effondrement économique.
Peut-on en être si certain ? L’étude des caractéristiques de cette crise montre qu’elle n’avait rien d’inéluctable. La dépense du secteur privé, qui s’était déjà tassée en 2008, a accusé un recul plus net à partir du moment où les cours du pétrole ont chuté. A l’époque, le gouvernement aurait pu mettre en place un plan de relance énergique, en forçant sur la dépense publique pour compenser la baisse de la demande privée. Il ne l’a pas fait. Au contraire, la croissance du secteur public s’est affaissée brutalement, passant de 16,3 % en 2008 à 0,9 % en 2009.
Pour le Fonds monétaire international (FMI) et un certain nombre d’autres institutions financières, il y a, depuis longtemps, deux poids, deux mesures : des pays riches, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, peuvent légitimement se permettre de lourds déficits budgétaires pour contrer les effets d’une récession ; les pays en développement sont censés faire le contraire, c’est-à-dire réduire dépense publique et déficit. C’est pourtant grâce à un plan de relance massif que la Chine a magistralement tiré son épingle du jeu en affichant une croissance de 8,7 % en 2009, malgré le chaos économique mondial.
Certes, le gouvernement chinois a l’avantage de contrôler tout le système bancaire : il a pu contraindre les établissements à distribuer du crédit, sachant que, par ailleurs, l’investissement public représente 20 % du PIB. Ceci étant, la Bolivie, un Etat qui ne dispose pas d’autant de marges de manœuvres, a su appliquer au bon moment une politique de relance bien plus importante que celle des Etats-Unis proportionnellement à la taille de son économie, ce qui lui a permis de réaliser l’an dernier la meilleure performance du continent avec une croissance de 3 %. Le PIB de la plupart des autres pays de la zone s’est au contraire contracté.
Les pays en développement qui veulent pratiquer une politique de relance, en période de récession, doivent par ailleurs veiller à leur balance des paiements en maintenant leurs réserves de devises à un niveau suffisant. Ce n’est pas le cas des Etats-Unis, qui peuvent payer leurs importations avec leur propre monnaie.
La balance courante vénézuélienne ayant été largement excédentaire en 2008, le pays avait accumulé des dollars. Lors de l’effondrement des cours du pétrole, cet excédent s’est rapidement transformé en déficit… pour six mois seulement : le gouvernement a prélevé sur ses réserves de change pour régler la facture des importations. Rien ne l’obligeait donc à laisser l’économie se rétracter. Il aurait pu puiser un peu plus dans ces réserves qui restent très confortables – plus de 30 milliards de dollars –, lutter contre la fuite des capitaux et même, le cas échéant, emprunter autant que de besoin sur les marchés internationaux. La dette publique extérieure du Venezuela est assez faible (11 % du PIB) et sa dette publique totale ne représente que 20 % de ce même PIB. A titre de comparaison, celle des Etats-Unis équivaut à 100 % du PIB national.
L’Etat vénézuélien ne manque pas de devises pour financer le dispositif de relance lui-même. Il en a seulement besoin pour faire face à la charge de ses importations, croissantes du fait de son développement économique – contrairement à un pays qui, en déclin, les verrait logiquement baisser –, et pour garder un niveau de réserves adéquat.
Toutes ces observations montrent que la croissance du pays ne dépend pas autant du cours du pétrole qu’on le croit généralement. Le gouvernement a les moyens d’intervenir en fonction des fluctuations du marché pétrolier, puisque son endettement est modeste et ses réserves de devises élevées.
Depuis sept ans, le Venezuela affrontait néanmoins une situation des plus préoccupantes : la surévaluation de sa monnaie. En 2003, le gouvernement avait fixé le taux de change à 1600 bolivars de l’époque (1,6 bolivar actuel ) pour un dollar. Suite à deux dévaluations, il est passé à 2,15 bolivars en 2005, pour ne plus être modifié jusqu’au mois de janvier dernier.
Du fait de ce taux fixe, la surévaluation de la devise vénézuélienne n’a fait que s’accentuer au fil du temps. L’inflation a été beaucoup plus forte au Venezuela que chez ses partenaires commerciaux : 20 % par an en moyenne au cours des sept dernières années. Si l’on retient comme hypothèse que la monnaie n’était pas surévaluée au moment où le taux de change fixe a été institué, elle se serait ainsi appréciée de plus de 130 % en termes réels.
Le phénomène fait mécaniquement augmenter le prix des produits exportés et baisser le coût des importations, ces dernières devenant artificiellement bon marché . Dans ces conditions, il est difficile, voire impossible pour le Venezuela de réduire le poids du secteur pétrolier en diversifiant son économie. De fait, rien n’a changé de ce point de vue depuis sept ans.
Le 8 janvier dernier, pour stimuler l’économie productive, freiner les importations non strictement nécessaires et favoriser l’exportation, Caracas a procédé à une dévaluation – baptisée « ajustement du bolivar » par le gouvernement. Un taux de 4,3 bolivars pour un dollar a été fixé pour la plupart des achats à l’étranger – automobiles, outils informatiques et de télécommunication, matériel électrodomestique, services, textiles, articles de luxe, tabac, boissons, etc. Un taux de 2,3 bolivars a été décrété dans le même temps pour les flux économiques considérés comme vitaux, tels l’agro-alimentaire, l’éducation, les activités scientifiques et technologiques, la santé, les machines et, d’une manière générale, les importations destinées au secteur public.
Cet « ajustement » à double détente contribuera, sans aucun doute, à une hausse de l’inflation, mais l’on peut s’attendre à ce que l’effet soit temporaire, comme ce fut le cas lors des grandes dévaluations de ces dernières années (Brésil, Russie, Argentine). Toutefois, s’il a le mérite d’améliorer la compétitivité vénézuélienne, il est probablement insuffisant.
L’inflation continuant de sévir, la surévaluation en termes réels va très vite s’accroître de nouveau. En soi, l’inflation – passée de 30,9 % à 25,1 % entre 2008 et 2009 – constitue un problème secondaire. S’il est certain qu’elle doit être combattue, elle se rapproche de la barre des 20 % au-delà duquel la plupart des macro-économistes estiment qu’elle coûte des points de croissance .
Le Venezuela gagnerait certainement à adopter un régime de taux de change plus souple, qui resterait toutefois réglementé. Il garderait ainsi le contrôle sur les capitaux, sans compromettre la compétitivité, et permettrait à l’économie de se diversifier. Ce serait se donner les moyens d’une véritable stratégie de développement, un concept plutôt exotique sur un continent américain abonné au néo-libéralisme depuis plusieurs décennies.
Entre temps, le cours du pétrole s’est repris pour se situer aujourd’hui à 80 dollars le baril. Même si ce genre de prévisions appelle la prudence, les projections de la US Energy Information Administration (USEIA) – l’un des services du ministère américain de l’énergie – évoquent une augmentation régulière du cours de l’or noir et situent le baril à 98 dollars à l’horizon 2020 . D’autre part, l’Institut d’études géologiques des Etats-Unis – le US Geological Survey (USGS) – a annoncé le 22 janvier que la Faille de l’Orénoque renfermerait 513 milliards de barils de pétrole – le double des estimations faites jusqu’à présent – ce qui, en terme de réserves, place le Venezuela loin devant l’Arabie saoudite (266 milliards de barils) .
Selon toute vraisemblance, en gardant le contrôle des ressources pétrolières  et en adoptant les mesures macroéconomiques qui s’imposent, Caracas a encore le champ libre pour s’essayer à toute une série d’expériences, économiques, politiques et sociales, et en tirer tous les enseignements utiles.