Les mauvais comptes de la FIFA

[원문] 회개 않는 나쁜 회계사, FIFA의 영주들

2010-06-14     David Garcia

« La Coupe du Monde 2010 doit profiter à l'ensemble du continent africain. Notre programme “Gagner en Afrique avec l'Afrique” concrétise cette volonté. Nous installerons d'ici à 2010 un terrain en gazon artificiel dans chaque fédération africaine », promettait M. Joseph Blatter, président de la Fédération internationale de football (FIFA), un an, jour pour jour, avant l’ouverture de la compétition qui se déroulera en Afrique du sud du 11 juin au 11 juillet. Cette générosité paraît quelque peu dérisoire dans le contexte d’un pays miné par la ségrégation sociale héritée de l’apartheid. Pourtant, la plantureuse FIFA ne manque pas d’atouts sonnants et trébuchants. Au point que la crise économique et financière mondiale ne semble pas avoir de prise sur la plus riche des fédérations sportives. <<번역문 보기>>

Fondée en 1904, la FIFA a dégagé en 2009 un bénéfice de 147 millions d’euros et augmenté ses fonds propres qui atteignent désormais la coquette somme de 795 millions d’euros. « L’avenir semble tout aussi réjouissant, exulte M. Julio Grondona, président de sa commission des finances, la coupe du monde (…) 2014 jouit déjà d’une grande popularité. Outre les six partenaires de la FIFA qui sont actuellement sous contrat, nous avons déjà signé les premiers contrats de sponsoring nationaux et internationaux. En ces temps d’instabilité économique, notre compétition phare s’avère être une valeur sûre qui combine suspens, divertissement et sport de haut niveau et qui constitue une excellente plateforme pour les marques commerciales . » De ce point de vue, la Coupe du monde 2010 constitue « un excellent tremplin vers les marchés africains, comme celle de 1994 le fut pour le marché américain et celle de 2002 pour le marché asiatique », commente le sociologue Patrick Vassort, spécialiste des rapports entre football et politique .

L’idylle entre ces marques et la FIFA dure depuis trente-six ans. Les noces en ont été célébrées le 11 juin 1974, à Francfort, pendant la Coupe du monde organisée par la République fédérale allemande. Ce jour-là, le Brésilien Joao Havelange emporte la présidence de l’organisation face au sortant, le Britannique Stanley Rous. Avec, en arrière plan, un faiseur de roi aussi discret qu’efficace, M. Horst Dassler, président de l’équipementier sportif Adidas France, lequel « se contenta de distribuer une liasse de billets aux délégués encore indécis ou susceptibles de rabattre d’autres voix afin de les encourager à soutenir Havelange ». Le jour suivant s’ouvre sur une promesse de lune de miel rythmée par la signature de contrats de plus en plus fructueux. Grisée par sa fortune naissante, la FIFA ajoute à son organigramme les directions du développement, du marketing et de la communication.

Formations d’entraîneurs, nouveaux tournois, stages d’arbitrage : l’entreprenant M. Dassler persuade Coca-Cola de financer les projets de campagne de M. Havelange. En contrepartie, le groupe américain obtient « le droit de placarder son logo sur toute la Coupe du monde. Une fois que Coca-Cola eut signé, tout le monde voulut être de la partie ». Ce faisant, la fédération internationale conclut « un pacte “ faustien ” avec les multinationales », résume l’historien du football Paul Dietschy .

Visionnaire, M. Dassler pressent avant ses concurrents le formidable potentiel économique de la télévision. En créant la société de marketing et de gestion des droits International Sport and Leisure (ISL) en 1983, le patron d’Adidas s’érige en associé numéro un de la FIFA, à qui il assure une rente confortable. Le tout selon un mécanisme vieux comme le commerce : ISL achète les droits à la FIFA et les revend à prix d’or aux chaînes de télévision. Un accord « gagnant-gagnant » pour les actionnaires d’Adidas et une poignée de hiérarques de la fédération. Jusqu’à la faillite frauduleuse d’ISL en décembre 2001, certains des hauts dirigeants de cette dernière toucheront des pots-de-vin en remerciement de leur fidélité à la marque aux trois bandes.

L’ancien vice-président Jean-Marie Weber, ami de trente ans de M. Blatter, et cinq autres dirigeants de la société ont notamment été poursuivis pour escroquerie. Selon l’acte d’accusation, dressé lors du procès devant le tribunal du canton de Zoug (Suisse) en mars 2008, les prévenus auraient détourné 70 millions d’euros payés par les chaînes de télévision Globo (Brésil) et Dentsu (Japon) pour leur acheter les droits de diffusion des Coupes du monde 2002 et 2006 . Si M. Weber, considéré par les enquêteurs comme le coeur d’un « système de corruption », et ses collaborateurs refusent de révéler les noms des destinataires de ces « commissions », deux dignitaires de la FIFA sont formellement identifiés. Il s’agit du président de la Confédération sud-américaine de football, M. Nicolas Leoz, qui aurait perçu 211 625 francs suisses (147 518 euros) en janvier et en mai 2000, et de l'ancien président de la Fédération de football de Tanzanie, M. Muhidin Ndolanga, qui aurait touché de son côté 15 975 francs suisses (11 138 euros) en décembre 1999 .

Au fond, les patrons de la FIFA sont de grands enfants trop gâtés par la vie : « Les vingt-quatre membres [de son comité exécutif] et ses sept vice-présidents sont probablement plus puissants et largement mieux rétribués que ceux de n’importe quelle entreprise multinationale du secteur concurrentiel. Son président, “Sepp” Blatter, dont la rémunération reste “ secret-défense”, émargerait à près de quatre millions de dollars par an . » Les six accusés finiront pas admettre, durant l’audience, qu’au cours de la décennie précédent la faillite d’ISL, ils ont versé quelque 96,2 millions d’euros de pots de vin, via un compte de la banque LGT au Liechtenstein, petit paradis fiscal niché au cœur de la vieille Europe. A leur décharge, la législation helvétique n’interdisait pas les commissions à l’époque des faits. Moyennant quoi, les anciens dirigeants d’ISL et leurs « partenaires » de la FIFA ont été reconnus responsables mais… pas coupables. M. Blatter, qui a succédé à M. Havelange en 1998, s’accroche à son poste et négocie dorénavant avec… son neveu Philippe Blatter, président de la société Infront Sports&Media AG, titulaire des droits télé de la FIFA et domiciliée dans le canton de Zoug, à l’instar de feu ISL et de nombreuses multinationales. Avant de prendre la tête en 2006 du groupe fondé par feu Robert-Louis Dreyfus, richissime homme d’affaires et propriétaire de l’Olympique de Marseille, M. Philippe Blatter travaillait pour McKinsey, le prestigieux cabinet de conseil auprès des directions générales. « De 2000 à 2006, McKinsey a facturé à la FIFA plus de 7 millions de dollars d’honoraires au titre du travail de titan fourni par Philippe Blatter en tant que consultant de luxe pour aider la Fédération internationale de football à s’organiser ».

Avec ou sans ISL, la manne du petit écran continue de se déverser sur le siège zurichois de la FIFA. En 2009, M. Joseph Blatter a reçu des mains de son généreux neveu 487 millions d’euros au titre des droits de diffusion, dont 469 millions pour la Coupe du monde 2010, soit 60 % des revenus de la fédération internationale .

Dans le monde de la FIFA, les pires entorses aux lois s’expliquent par le mode de désignation du président, dont découle le processus de prise de décision de l’organisation. Quelle que soit sa population, chaque Etat dispose d’une voix. Ce qui conduit à une surreprésentation des territoires sous-peuplés et des pays pauvres. Et favorise la corruption endémique dans laquelle est immergée la FIFA depuis des décennies. Avec deux cent sept adhérents, la Fédération regroupe plus de membres que l’Organisation des Nations unies (ONU). De quoi aiguiser l’appétit des candidats en manque de soutiens faciles : « La FIFA, c’est un peu le meilleur des mondes, les petites principautés européennes et les îles minuscules pèsent du même poids que les grandes fédérations », commente malicieusement M. Patrick Mendelewitsch, agent de joueurs et spécialiste du « footbusiness ». Même certains responsables trouvent que M. Joseph Blatter et ses affidés poussent le ballon un peu loin. « Le mode de fonctionnement de la FIFA n’est pas convenable », critique sobrement M. Jean-Pierre Karaquillo, directeur du Centre de droit et d’économie du sport et proche des instances dirigeantes de la Fédération française de football.

Conseiller de la fédération de Trinidad et Tobago, M. Jack Warner, incarne jusqu’à la caricature le système. Le redouté président de la Confédération de football d’Amérique du Nord, du centre et des Caraïbes (Concacaf) est le principal auxiliaire de M. Joseph Blatter. Et pour cause : les îles des Caraïbes sont tellement nombreuses que, malgré leur population assez faible, la Concacaf bénéficie à elle seule de trois sièges au comité exécutif.

Doté d’une fortune personnelle évaluée entre 15 millions et 30 millions d’euros, M. Warner monnaye son soutien au prix fort. En 1999, la FIFA renonce à une créance de près de 9,5 millions d’euros sur la Concacaf. Et lorsque en 2002 le président de la fédération d’Antigua et Barbuda, M. Chet Greene, demande un coup de pouce à la maison-mère pour financer un Centre de développement pour le football Jack Austin Warner, un chèque de 161 439 dollars (121 000 euros) lui parvient aussitôt en provenance de Zurich. Un an plus tard, le journaliste Andrew Jennings se rend sur les lieux et, en fait de terrain de football, découvre « des chevaux qui broutent dans les broussailles près de la carcasse d’un camion de livraison de bière ».

Spécialiste du renvoi d’ascenseur, M. Warner se range systématiquement derrière son président chaque fois que celui-ci est attaqué. Les élections de M. Blatter en 1998 et 2002 sont-elles entachées d’irrégularités ? M. Warner exprime une solidarité sans faille envers lui et exige des sanctions exemplaires contre les contestataires. Vice-président de la Confédération africaine, M. Farah Addo fera les frais de la hargne des partisans de M. Blatter. En 1998, ce clan lui aurait offert 75 000 euros en échange de sa voix. M. Addo a affirmé que dix-huit officiels africains avaient vendu leur vote mais, devant son incapacité à étayer ses accusations, la commission disciplinaire de la FIFA l’a suspendu de ses activités pendant deux ans. Quant aux enquêtes internes sur ces élections controversées, elles ont toutes été classées sans suite.

Peu enclin aux états d’âme, M. Blatter devrait se porter candidat à un quatrième mandat en 2011. « Je n'ai pas fini ma mission », a-t-il expliqué en souriant lors d’une conférence de presse au siège de la FIFA . Reste à battre son rival déclaré, le président de la Confédération asiatique de football, M. Mohammed Ben Hammam. « Maintenant qu’il sent venir son heure, Ben Hamman se retourne contre son maître », s’amuse M. Patrick Mendelewitsch. Avec M. Warner, M. Ben Hamman a été un soutien inconditionnel de M. Blatter. Cela n’empêche pas ce proche de l’émir du Qatar de plaider subitement pour une limitation de la présidence de la FIFA à deux mandats. Parce qu’au-delà, argumente-t-il, le numéro un de la FIFA « s’occupe de tout, sauf de football ». Reste que pour M. Patrick Mendelewitsch, « le successeur de Blatter sera tenu par le code de conduite de la grande famille du foot : il nettoiera à la marge mais ne changera pas radicalement le système. »