Mexico, fidèle allié de Washington

[원문] 미국의 덫에 갇힌 나라, 멕시코

2011-03-11     Jean-François Boyer

De la tentation du non-alignement à l´alliance stratégique avec les Etats-Unis
Mexico, fidèle allié de Washington

par Jean-François Boyer*

* Journaliste

L´alignement de la diplomatie mexicaine sur celle de Washington depuis l´arrivée au pouvoir du Président Calderón en 2006 contraste fortement avec l´indépendance affichée par le Brésil vis-à-vis des États-Unis. <<번역문 보기>>

En décembre 2009, après le renversement du président hondurien Manuel Zelaya, Mexico comme Washington, reconnaît la légitimité des élections qui portent M. Porfirio Lobo au pouvoir, Le Brésil et l´Union Européenne les déclarent illégitimes.

En mai 2010, au lendemain de l´initiative turco-brésilienne proposant une alternative aux menaces des Nations unies contre l’Iran – sur la base d’un accord d’échange de combustible nucléaire– Mexico vote en faveur de nouvelles sanctions contre Téhéran, aux côtés des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, emmenés par Washington. Un mois plus tard, lors du débat au Conseil de sécurité sur l´arraisonnement par Israël de la flottille humanitaire destinée à Gaza, le Mexique soutient la résolution proposée par les Etats-Unis qui « regrette » les faits mais ne les condamne pas. Brasília plaide pour une condamnation claire de l´opération.

Mexico aurait-il renoncé à la liberté de parole qui, de 1945 à 1982, avait caractérisé sa politique étrangère fondée – selon ses dirigeants – sur la souveraineté nationale, la non-intervention dans les affaires intérieures des Etats et le respect de l´autodétermination des peuples ?

Qu’on se souvienne…

En 1954, c’est le Mexique d’Adolfo Ruiz Cortines qui accueille Jacobo Arbenz, le président guatémaltèque qu’un coup d’Etat organisé par la CIA vient de renverser. Son successeur, Adolfo López Mateos (1958-1964), se rapproche du mouvement des non-alignés et rend visite au président égyptien Gamal Abdel Nasser et au premier ministre indien Jawaharlal Nehru, ses deux plus emblématiques représentants. En 1962, López Mateos s´oppose à Washington qui fait exclure la Cuba révolutionnaire de l´Organisation des Etats américains (OEA). Par la suite, M. Luis Echeverria (1970-1976) va soutenir Salvador Allende, ouvrir les bras aux réfugiés des dictatures militaires d´Amérique du sud et renforcer la relation avec les non-alignés et Cuba. José López Portillo, qui lui succède, appuie la révolution sandiniste et se rend à Moscou, en mai 1978, où il rencontre Leonid Brejnev, lequel observe : « Nos deux pays adoptent des positions identiques ou similaires sur les questions les plus importantes . »

Mais la mémoire peut être trompeuse : au-delà des déclarations provocatrices de son voisin, les Etats-Unis ont toujours pu compter avec la solidarité du Mexique sur la question essentielle de la sécurité de l´Empire dans le cadre de la guerre froide. Agent du rapprochement avec les non-alignés, López Mateos entretient, dans le même temps, une relation intime avec Washington : en quatre ans, il se réunit six fois avec ses homologues Dwight D. Eisenhower, John F. Kennedy et Lyndon B. Johnson – un record. Il se garde en outre de franchir la ligne rouge tracée par son puissant voisin : Mexico ne devient jamais membre de plein droit du Mouvement des non-alignés, s´y contentant d´un poste d´observateur. Et en octobre 1962, lors de la crise des missiles soviétiques à Cuba, Mexico se range à l´OEA aux côtés des États-Unis pour condamner l´installation de lanceurs sur le territoire cubain et exiger leur démantèlement.

Dès lors, le Mexique appliquera strictement le blocus économique contre l´île et informera régulièrement la CIA du transit, via les aéroports mexicains, des citoyens nord-américains et des révolutionnaires latino-américains qui se rendent à Cuba. Echeverria ne fera pas exception.

Selon l’historien Lorenzo Meyer, sa stratégie d’antagonisme apparent avec le « voisin du nord » – similaire à celle de ses prédécesseurs –, représentait avant tout « une source irremplaçable de légitimité » pour un gouvernement « qui ne pouvait compter sur la légitimité que lui confèrerait la démocratie, inexistante pendant les soixante-dix ans d´exercice autoritaire du pouvoir par le PRI. » . En fait la relation d’Echeverria avec les Etats-Unis était tout autre. On le saura plus tard, le président a été recruté par la CIA durant le sexennat de son prédécesseur, Diaz Ordaz, dans le cadre d´un programme baptisé Litempo visant à détecter les activités de la gauche révolutionnaire en Amérique latine . Et durant son sexennat, il s´engagera dans la « guerre sale », une répression féroce des mouvements de guérilla locaux.

Pourtant les relations se tendront réellement entre Mexico et Washington au sujet de l’Amérique centrale. Ainsi , le président mexicain, López Portillo (1976-1982) se rend à Managua pour célébrer la victoire du Front sandiniste de libération nationale le 14 juillet 1979, et apporte une aide financière considérable au nouvel Etat. Il fournira en particulier du pétrole mexicain à bas prix au Nicaragua révolutionnaire. Le 28 août 1981, le Mexique et la France signent une déclaration qui reconnaît les deux fronts révolutionnaires salvadoriens (FMLN et FDR) comme « forces représentatives ».

Mais dès son arrivée au pouvoir en 1981, Ronald Reagan fustige le Nicaragua sandiniste, « un allié de l’Union soviétique à deux heures de vols de nos frontières ». Washington fait alors pression sur le Mexique qui abandonnera petit à petit son idée de légitimer la révolution sandiniste en mettant Washington et Managua à la même table. Portillo continuera cependant de soutenir une solution négociée aux conflits qui affectent également le Salvador et le Guatemala, au sein du groupe de Contadora .

Le divorce ne sera jamais consommé. Toujours sous la pression de Washington, M. Miguel de La Madrid (1982-1989) autorisera sa police politique à collaborer discrètement avec la CIA et les cartels mexicains pour entrainer la « Contra » nicaraguayenne sur le sol mexicain et financer ses activités par le trafic de drogue.

Force est donc de constater que l’autonomie mexicaine est relative : une « indépendance dans la dépendance » en quelque sorte. Selon Meyer, elle découle d’un accord discret, non écrit mais contraignant, remontant à la fin de la Révolution mexicaine, en 1924 : les Etats-unis se seraient alors engagés à soutenir les gouvernements mexicains et à ne pas intervenir dans leurs affaires intérieures s’ils leur garantissaient la paix et la sécurité sur la frontière commune – plus de 3000 kilomètres – et la stabilité politique à l´intérieur du pays .

Cette marge de manœuvre diplomatique a été permise, des années 1960 à 1982, par les choix économiques des présidents de l´époque - politique d’industrialisation, consolidation des sociétés nationales (notamment bancaires) et développement du marché intérieur. Ce « modèle » se finance tout d’abord grâce à la rente pétrolière : de 1963 à 1972, la forage de nouveaux puits de pétrole offshore face à Tampico et Campeche propulse le Mexique au rang de puissance pétrolière . Il s’abreuve également à la source de l’endettement international.

Tout bascule en 1982 quand éclate la crise de la dette. Le pays croule soudain sous le montant de ses engagements. L’aide financière nord-américaine et la renégociation des prêts sont conditionnées à l’application d´un ajustement structurel, qui n’a rien pour déplaire aux nouveaux présidents néolibéraux, issus du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) : de la Madrid, puis M. Carlos Salinas de Gortari. Réduction du déficit fiscal, dérégulation, privatisation massive des entreprises publiques et de la banque… Les efforts des Mexicains sont récompensés par l’entrée du pays au sein de l’Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT, 1986). La signature de l´ALENA, (Accord de Libre Échange Nord Américain) entre les trois pays d´Amérique du nord, en 1993, liera définitivement le destin du Mexique aux États-Unis. La croissance du pays dépendra désormais du volume des échanges avec le voisin du nord et des investissements nord-américains dans le secteur industriel et la sous-traitance. (lire l’encadré).

D´autant que dès les premiers mois du sexennat de M. Ernesto Zedillo (1994-2000), une nouvelle crise économique consolide cet assujettissement. Une fois de plus, Washington sauve son voisin du sud de la faillite en organisant le versement d’une aide d´urgence considérable : plus de 40 milliards de dollars versés par la Réserve fédérale, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque des règlements internationaux, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement.

Désormais, « cette dépendance financière des secteurs nord-américains les plus conservateurs bride le gouvernement en matière de politique étrangère. Tout est fait pour ne pas se mettre à dos les groupes industriels et financiers qui maintiennent l´économie mexicaine à flot», constate l’analyste économique Rogelio Ramirez de la O . Dans ces conditions, « il n´est pas nécessaire que les Etats-Unis brandissent une menace pour faire renoncer Mexico à certaines positions, analyse ainsi Jorge Castañeda, ex-ministre des affaires étrangères du gouvernement de M. Vicente Fox. Car, tous les cinq ou six ans depuis 1982, le pays est en crise, au bord de la faillite, et ce sont les Américains qui nous sauvent la mise… ».

La défaite du PRI en 2000 et l´élection de Vicente Fox, un homme d´affaire démocrate chrétien, ex-directeur général de Coca Cola au Mexique, leader du Parti d´Action Nationale, mettra un terme définitif aux velléités de non alignement.

M. Fox établit une relation intime avec M. George W. Bush. Le gouvernement mexicain met ses forces de sécurité au service de la défense de la frontière américaine après les attentats du 11 septembre 2001, et il s´oppose à la renégociation – réclamée par la gauche et les nationalistes du PRI – des articles de l´Alena les plus préjudiciables à l´économie mexicaine. En quelques années, les principales banques privées mexicaines passent entre les mains d’établissements étrangers : Citygroup, HSBC, Santander, etc. Pour la première fois dans l´histoire de leurs relations bilatérales, Mexico vote contre Cuba à la Commission de droits de l´homme de l´ONU en 2003.

En échange, le Mexique caresse l’espoir d’une profonde réforme de la législation américaine en matière d´immigration qui régulariserait le statut des illégaux et autoriserait la libre circulation de la main d´œuvre mexicaine entre les deux pays, une solution au problème principal de son économie : le chômage, lié à l´absence d´une politique nationale d´industrialisation. Le repli sécuritaire provoqué par les attentats du 11 septembre 2001 enterre le projet.

Héritier de cette lente évolution vers une alliance totale avec les Etats-Unis, M. Felipe Calderón choisit de la renforcer. Pour gagner ce qu’il baptise «la guerre contre le narcotrafic et le crime organisé » – nourris par la corruption endémique et la marginalisation des secteurs populaires –, il a besoin… du soutien des Etats-Unis : renseignement, écoutes téléphoniques, lutte contre le blanchiment d´argent, etc… Inimaginable il y a encore quelques années, les voix d´intellectuels comme Jorge Castañeda ou Hector Aguilar Camin s´élèvent au sud du Rio Bravo pour demander l’intervention américaine sur le territoire mexicain dans le cadre d´un Plan Colombia bis qui se solderait par une nouvelle perte de souveraineté pour le pays.

« Pauvre Mexique, dit un refrain populaire, si loin de Dieu et si près des Etats-Unis… »