La seconde vie de la « nouvelle gestion publique » en Grande-Bretagne

[원문] 영국 ‘신공공관리론’의 함정

2009-12-04     Jérôme Tournadre-Plancq

La seconde vie de la « nouvelle gestion publique » en Grande-Bretagne

Par Jérôme Tournadre-Plancq *

(*) Chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; a notamment publié Au-delà de la gauche et de la droite, une troisième voie britannique ?, Dalloz, Paris, 2006.

Amaigrir l’Etat, réduire les interventions publiques, combattre la pesanteur des fonctionnement bureaucratiques, telle est la vocation du New Public Management (NPM), un mouvement qui caractérise peu ou prou les « réformes » entreprises dans les pays occidentaux depuis le début des années 1980. Son corps de doctrine reste un véritable « puzzle » dans lequel s’entrecroisent théories de l’individu – acteur rationnel ne cherchant qu’à maximiser son intérêt –, expertises managériales et « bonnes pratiques » recensées à travers le monde par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou la Banque mondiale. Le NPM a certainement trouvé ses hérauts les plus zélés dans le Royaume-Uni de Margaret Thatcher. Portée par certains hommes politiques, dont M. Keith Joseph, ministre de l’industrie du premier gouvernement de la « Dame de fer », et une poignée d’institutions privées de recherche (think tanks) comme l’Institute for Economic Affairs et le Centre for Policy Studies – dont certains chercheurs investiront des instances ministérielles après la victoire conservatrice de 1979 –, cette « nouvelle gestion publique » y a en effet connu quelques unes de ses mises en formes les plus abouties .

Contractualisation et évaluation dans l’Etat, instillation de la concurrence et des outils de la gestion d’entreprise dans les services publics , « rationalisation » des dépenses, ou encore revalorisation du pouvoir politique central au détriment d’une fonction publique réduite au rôle de simple exécutante… Ses préconisations ont profondément guidé les réformes et expérimentations administratives conduites durant les gouvernements de Thatcher (1979-1990) et de M. John Major (1990-1997).

Rappelons notamment la création du National Audit Office, chargé de s’assurer que toute dépense publique engagée l’est en vertu du sacro-saint rapport coût/efficacité ; le lancement de la Financial Management Initiative, visant à généraliser les indicateurs de performance dans les services publics ; ou le programme Next Steps qui organisa la substitution de centaines d’agences relativement autonomes et flexibles à des pans entiers de l’administration, battant ainsi en brèche le pouvoir d’une haute fonction publique accusée d’archaïsme et d’incompétence par les porte-flamberge du thatchérisme .

Cette remise en cause de la puissance publique et de ses frontières s’est, dans le même temps, accompagnée d’un renforcement du pouvoir central, principalement destiné à laminer les corps intermédiaires (singulièrement, les syndicats) et les pouvoirs locaux, bastions des travaillistes.

L’arrivée au pouvoir des dirigeants néo-travaillistes n’a, à première vue, pas remis en question cette vision de la chose publique. En atteste la quasi-fétichisation de l’audit, du contrôle de performance et de la sanction des « mauvais élèves » dans la pratique et le discours gouvernementaux après mai 1997. Longtemps campé en « sociologue préféré » de M. Anthony Blair, M. Anthony Giddens reconnaissait d’ailleurs en 2003 que les « idées de la Troisième Voie relatives à la réforme de l’Etat avaient été fortement influencées par le New Public Management ».

Certes, sous les mandats néo-travaillistes, l’évaluation a endossé des habits plus démocratiques via la multiplication des boards, ces instances permettant d’associer les citoyens au contrôle de la « qualité publique ». Celle-ci s’est vue attribuer d’autres critères (sociaux, environnementaux, qualitatifs) que la seule focalisation sur le coût du service. La croyance blairiste en la toute-puissance du marché – « Si vous vous opposez au marché, il vous sanctionne » – est par ailleurs loin d’avoir toujours fait l’unanimité au sein même des rangs « modernisateurs ». Elle a été l’objet de nombreux contournements, comme en témoigne le sauvetage étatique (pour ne pas dire la renationalisation) en 2002 d’installations ferroviaires jusqu’alors entre les mains d’une initiative privée plus que défaillante.

Pour autant, les postulats mêmes du NPM n’ont pas disparu avec la déroute électorale des tories. Leur diffusion généralisée dans la société britannique du début des années 2000 a, au contraire, contribué un peu plus à leur banalisation. Il n’est, par exemple, pas anodin que les termes « dirigeants » (leaders), « stratèges » (strategists), « entrepreneurs » (contractors), « directeurs commerciaux » (business managers) ou « acheteurs » (purchasers) se soient, dans le discours travailliste le plus courant, substitués à ceux de « serviteurs de l’Etat » (public servants), « administrateurs » (administrators) et « praticiens » (practitioners) pour désigner les agents publics . Plus encore, les principaux porte-parole de la « gauche de gouvernement », largement inspirés par les enseignements professés dans les business schools, ont semblé accentuer cette philosophie du classement, de la transparence et du contrôle.

Cette démarche a, par exemple, conduit à placer les agents des administrations locales et nationales dans une situation de justification quasi-permanente de leurs activités et résultats. Aussi, la multiplication des indices et objectifs de performance et leur application à la moindre décision ont-elles, ironie du sort, nourri un gonflement de l'activité bureaucratique que l’application du NPM est pourtant censée éradiquer.

Les gouvernements Blair ont même parfois semblé vouloir aller plus loin dans la logique du NPM que leurs prédécesseurs, dépassant ainsi les espoirs de l’OCDE. Au-delà de l’autonomie de gestion promise aux meilleurs hôpitaux ou établissements scolaires, ils ont ainsi largement insisté sur la place du « choix » dans les services publics. Les citoyens agissant désormais en « consommateurs » – pour reprendre le terme employé par le Bureau de la réforme du service public rattaché au premier ministre –, et les fonctionnaires étant censés privilégier traditionnellement le « paternalisme » et une offre monolithique de services pour mieux servir leurs intérêts, la survie de l’Etat social passerait désormais par une diversification des prestations et des prestataires (publics et privés).

M. Blair ne disait pas autre chose lorsque, présentant les réformes à venir en 2002, il affirmait que les services publics devaient être recentrés sur « les besoins des patients, des élèves, des passagers et du public en général plutôt que sur ceux qui fournissent les services ». Déployé dans les secteurs de la santé ou de l’éducation, le choix doit ainsi permettre, si l’on en croit ses partisans, de responsabiliser des usagers désormais habilités à choisir l’école de leurs enfants ou la structure dans laquelle ils souhaitent être soignés (quand ce n’est pas la nature du traitement qui est également soumise à leur décision !). Il devrait également susciter l’émulation au sein d’une administration placée en situation de concurrence interne mais également de rivalité avec l’offre privée.

Plus sûrement, sous couvert d’une amélioration de la qualité du service, on peut se demander si ce n’est pas à une individualisation du rapport Etat-citoyen et à un transfert croissant de la gestion du risque du premier vers le second que travaille un tel mouvement.

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