Taxe carbone contre energies renouvelables

[원문] 너그러운 탄소세, 달아오른 원자력발전

2010-01-07     aola Orozco-Souel & Constant

Taxe carbone contre energies renouvelables

Par Paola Orozco-Souel et Constant Delatte *

* Respectivement journaliste et consultant en energies renouvelables.

En matiere energetique et environnementale, l’Union europeenne s’est fixe des objectifs minimums, a defaut d’etre ambitieux. Sans autre logique que la beaute du chiffre, elle entend reduire de 20 % les emissions de gaz a effet de serre (GES), gagner 20 % d’≪ efficacite energetique ≫ et augmenter de 20 % la consommation d’energies renouvelables d’ici a… 2020. <<번역문 보기>>

Depuis 2005, dans le cadre du systeme d’echange de droits d’emission de GES, Bruxelles distribue ? gratuitement ? des quotas permettant de liberer du dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphere. Les Etats membres les repartissent entre les sites emetteurs afin que les entreprises puissent vendre ou acheter leurs quotas excedentaires ou deficitaires a un prix fixe par l’offre et la demande sur le marche europeen. Ce mecanisme flexible ne contraint cependant pas tous les emetteurs de CO2 : les secteurs du transport (marchandises et passagers), de l’habitat (chauffage et electricite) et de l’agriculture (engrais et carburants), ainsi que tous les petits et moyens emetteurs de GES, ne sont pas tenus de reduire leurs emissions et peuvent donc polluer gratuitement.

La France, dont seulement 32 % des emissions totales de CO2 sont soumis aux quotas sur le marche europeen , a annonce vouloir combattre le changement climatique et ≪ verdir ≫ la societe. Presidee par l’ancien premier ministre socialiste Michel Rocard (1988-1991), la Commission Rocard dont les membres ≪ avaient tous en commun une connaissance minimale du contexte petrolier et climatique ≫, a preconise une nouvelle taxe pour l’environnement .

Contrairement aux grandes installations industrielles beneficiaires des quotas europeens ? contraintes a payer seulement lorsqu’elles depassent leurs droits de pollution ?, les contribuables debourseront, selon la loi, pour tous leurs rejets de CO2. Ecologiquement acceptable, la taxe carbone, tantot qualifiee d’impot, tantot de contribution, l’est beaucoup moins socialement.

Preconisee par la Commission Rocard et tous ses ≪ experts ≫ a un taux de 32 euros la tonne de CO2 emise ? un minimum pour que cette fiscalite ait un reel effet incitatif ?, cette nouvelle charge a cependant ete fixee, par le chef de l’Etat Nicolas Sarkozy, a 17 euros la tonne, bien en deca des recommandations, mais alignee sur les tendances du marche europeen, sujets a des speculations qui ont peu a voir avec les objectifs climatiques. En decidant de ce faible prix, M. Sarkozy visait un double objectif : faire accepter cette taxe supplementaire aux Francais tout en preservant ses rapports privilegies avec l’industrie. En effet, s’il ne les incite aucunement a investir dans un materiel depolluant, ce faible taux permettra en revanche aux entreprises de repercuter l’augmentation du prix de l’energie sur leurs prix de vente. A travers leur consommation, les menages s’acquitteront donc, en plus de leur propre contribution, de celle des entreprises.

Au premier janvier 2010, les Francais subissent une hausse de 4,11 centimes par litre d’essence, de 4,52 centimes pour le gazole ; le fioul augmente de 8,3 % et le gaz de 6,2 %. Pretendant a la fois reduire les injustices ainsi generees et inciter les consommateurs et les entreprises a adopter des comportements vertueux, le gouvernement a egalement prevu des compensations et des exonerations. Sous forme d’un credit d’impot pour les contribuables ou d’un cheque ≪ vert ≫ pour les non imposables, la taxe carbone sera redistribuee ? c’est promis ! ? aux menages, la premiere annee ; afin d’eviter l’obsessionnelle perte de competitivite les ≪ obligeant ≫ a delocaliser, les entreprises seront exonerees partiellement ou totalement. D’ores et deja les secteurs de l’agriculture et de la peche ? grands emetteurs de CO2 ? ont obtenu le remboursement des trois quarts de la taxe en 2010, un avantage dont les entreprises de transport routier comptent bien beneficier.

Le contribuable pourrait, lui aussi, economiser quelques dizaines d’euros par an sur la taxe prevue pour le carburant par l’achat d’un vehicule a faible consommation… a condition d’investir des milliers d’euros dans cette acquisition. Il peut aussi decider de convertir son chauffage et sa voiture, grands emetteurs de CO2, a l’electricite. Debarrasse alors de la taxe carbone qui ne s’applique pas a cette energie, il beneficierait non seulement de la reduction d’impot mais aussi du ≪ super-bonus de 5000 euros ≫ annonce par M. Sarkozy pour l’achat d’un vehicule tout electrique.

Avec un talent divinatoire jusque-la insoupconne, le groupe Bollore a anticipe ces dispositions. Il commercialisera des 2010 la premiere voiture electrique du marche, equipee de batteries au lithium ? une option choisie par tous les constructeurs. Ce minerai, dont l’extraction et la transformation causent des dommages irreversibles a l’environnement, ne fait cependant pas de la voiture un transport ≪ propre ≫. Incite ainsi a acheter des produits ≪ verdis ≫ par le marketing et faute de changer reellement son comportement, le consommateur opere en realite un simple transfert d’une forme d’energie a une autre.

Exemptee de la taxe carbone, l’electricite sera favorisee en depit des emissions de CO2 qu’elle genere ? pour le plus grand profit des fournisseurs qui augmenteront leurs prix. En aout 2009, l’entreprise publique Electricite de France (EDF) confirmait cette tendance en appliquant une augmentation de 1,9 % de ses tarifs reglementes, en attendant les 20 % sur trois ans, demandes par M. Pierre Gadonneix, [ex]-patron d’EDF.

≪ Mieux que rien ≫ pour les ecologistes indulgents ou ≪ revolutionnaire ≫ pour les inconsequents, la taxe carbone se prive de toute efficacite du fait de son taux initial (17 euros), de l’exclusion de l’electricite, des remboursements, des exonerations et du flou sur sa progression et sur l’emploi des recettes. Alors que, a pretendu M. Sarkozy, la contribution carbone n’a qu’un seul objectif, un seul : inciter les menages et les entreprises a modifier progressivement leurs comportements.

Sur fond de ≪ prise de conscience ecologique ≫, la taxe carbone aura pour principal effet de favoriser le nucleaire. Car si les energies fossiles sont non renouvelables, de plus en plus cheres et de plus en plus taxees pour leur caractere polluant, que reste-t-il en termes de moyens de production pour satisfaire les besoins croissants de la population ?

Le 3 juillet 2008, M. Sarkozy annoncait au Creusot : ≪ Nous allons construire une nouvelle centrale nucleaire EPR [Reacteur presurise europeen] ≫ car ≪ le nucleaire est plus que jamais une industrie d’avenir et une energie indispensable ≫. Certes, la France emet de fait moins de GES, en valeur absolue ou par habitant, que les pays qui produisent majoritairement leur electricite a partir du fioul, du gaz ou du charbon, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou l’Italie. Mais le chef de l’Etat absout ainsi les innombrables pollutions provoquees par l’extraction de l’uranium, son enrichissement, la construction puis le demantelement des installations et le traitement des combustibles uses. Alors meme que cette technique convertit seulement 33 % de l’energie disponible en electricite, la majorite de la puissance thermique restante etant gaspillee et rejetee dans l’air, l’eau des rivieres, ou la mer.

Pour ce qui est des risques de contamination et d’accidents lies a l’exploitation et au fonctionnement des installations nucleaires, les Francais ne devront pas non plus s’inquieter ? mais suivre sagement les consignes. Comme lors de la fuite d’uranium, sur le site du Tricastin, qui a contamine les rivieres de la Gaffiere et de l’Auzon pendant l’ete 2008. Alors que l’Autorite de surete nucleaire (ASN) decretait une absence de risque pour la population, celle-ci devait neanmoins s’abstenir, par volonte du prefet, d’utiliser l’eau. ≪ Sur cette filiere que l’on dit extremement controlee (…) la comptabilite est mal tenue ≫, a admis la secretaire d’Etat chargee de l’ecologie, Mme Chantal Jouanno qui, a propos de plusieurs kilos de plutonium decouverts fortuitement sur le site de Cadarache, ≪ ne sait pas combien il y [en] a ≫, et trouve ≪ totalement anormal (…) qu’on en soit informe si tardivement ≫ (RTL, 15 octobre 2009).

De son cote, et vantant les bienfaits du nucleaire, le geant Areva affirme que ≪ le traitement permet d’isoler les matieres valorisables [a] 96 % ≫, laissant croire, sur son site Internet, a un recyclage des dechets, quand seulement 2,5 % de ces matieres sont reutilises et que les elements radioactifs, dont les stocks debordent a Pierrelatte, sont traites en France et… en Russie, dans des conditions douteuses, quand ils ne sont pas abandonnes a ciel ouvert en Siberie .

Censee etre plus sure et pallier les defaillances des anciens sites, la nouvelle centrale EPR se revele plus couteuse que prevu. Plus grave, Areva est sommee de s’expliquer devant les autorites de surete nucleaire britannique, finlandaise et francaise, qui ont conjointement fait part, le 2 novembre, d’un tres grave probleme de surete lie a la conception du reacteur . En depit de ses propres constats et de ses declarations, Mme Jouanno n’en precise pas moins qu’il est necessaire de maintenir la production nucleaire pour lutter contre les emissions de gaz a effet de serre.

La France, dont l’electricite consommee provient a presque 80 % de cette filiere, maintient ainsi une posture schizophrene. Evitant un debat democratique et transparent sur la question, les discours politiques ressemblent a ces publicites qui proposent de maigrir en se goinfrant de biscuits alleges. Quand on sait que l’uranium n’est pas renouvelable et que le stock de dechets radioactifs augmente d’un kilogramme par habitant par an, comment ne pas douter que les arbitrage actuels peseront lourd sur les generations futures ?

En France, alors meme que chaque kilowattheure (kWh) d’electricite d’origine renouvelable evite l’emission de 300 g de CO2, c’est pourtant a la fission nucleaire que le gouvernement dedie la quasi-totalite du bouquet electrique. Seule une infime part de marche ? 1 % en 2008 de l’electricite consommee ? revient a l’eolien, au solaire et a la biomasse . Sans remise en question de l’energie nucleaire ? qui ne represente que 5,9 % de l’energie consommee sur l’ensemble de la planete ?, les comportements energivores augmenteront et les reelles solutions de rechange energetiques ne seront pas deployees.

Pourtant, produire de l’electricite sans combustible couteux, sans risque d’accidents, sans dechets radioactifs et sans rechauffement climatique est possible. Selon le sociologue et economiste allemand Hermann Scheer, a l’origine dans son pays des lois sur les energies renouvelables, ≪ le soleil, avec ses derives que sont le vent, les vagues, l’eau, la biomasse, [fournit] a la terre plus de quinze mille fois plus d’energie que nous n’en consommons actuellement sous la forme des energies nucleaires et fossiles ≫.

Cette ressource ≪ non seulement produit une energie renouvelable et propre (…) mais s’assure que les solutions au changement climatique ne posent pas de probleme de gestion des dechets aux generations futures ≫, insiste M. Kartsen Wambach, president de l’association europeenne PV Cycle, qui reprendra et recyclera les panneaux photovoltaiques des 2010. Le fameux surcout des energies propres, souvent avance par leurs detracteurs pour ralentir leur developpement, ne represente en realite que 6 % de la contribution au service public de l’electricite (CSPE) selon le rapport d’activite 2008 de la Commission de regulation de l’energie (CRE) . Mieux encore, il se trouve dans une dynamique de forte baisse, tandis que les prix de la vente d’electricite augmentent et que les incertitudes sur les couts du nucleaire paraissent alarmants. La Societe francaise d’electricite nucleaire (SFEN) calcule le prix du nucleaire a 28 euros par MWh en 2015 (tandis que d’autres sources internationales l’estiment deja entre 30 et plus de 90 euros) . C’est que sa propre estimation, reconnait la SFEN, ne tient ≪ pas compte des couts externes ≫ lies aux ≪ dommages relatifs aux accidents [et aux] rejets radioactifs (…) ≫, sans mentionner ceux lies a la recherche, a l’amortissement des centrales, a la securite des sites, et aux placements a risque des provisions destinees a leur demantelement .

En 2008, les energies renouvelables coutaient moins de 100 millions d’euros, selon la CRE ; elles creaient plus de soixante dix mille emplois, selon l’Agence de l’environnement et de la maitrise de l’energie (Ademe) qui prevoit, pour 2012, la creation de cent trente-cinq mille postes durables dans ce secteur, depassant ainsi les emplois generes par l’industrie nucleaire. Avec une part de marche de presque 80 %, cette derniere n’en a cree que cent mille en un demi-siecle, d’apres la SFEN.

A la mise en cause d’un mode de vie base sur la croissance continue, repond une forme de ≪ recuperation ≫ conduite par les industriels. Juteux marche pour l’investissement mondial, les ≪ technologies vertes ≫ attisent les convoitises des grands energeticiens (Alstom, Siemens, Areva, General Electric, GDF Suez, EDF, Total). Lesquels s’emparent progressivement du secteur et siegent deja, pour certains, au conseil d’administration du Syndicat francais… des energies renouvelables. En verdissant le systeme d’un coup de pinceau, les industriels et les gouvernements s’adonnent a la croyance selon laquelle bien s’adapter a un systeme malade est un signe de bonne sante.

Les pays qui ont reellement mise sur les energies durables ont davantage fait bouger les choses que toutes les recommandations dictees par les sommets internationaux. De nombreuses petites villes, communes, regions et pays, en Europe et dans le monde, reduisent deja leur consommation et visent l’autonomie energetique. En Allemagne, ou la societe a pousse le gouvernement a sortir du nucleaire, ≪ l’objectif fixe pour 2010, de 12,5 % d’energies renouvelables dans la production electrique nationale, a ete atteint des la mi-2007 ≫, grace a l’implication de la population, encouragee par la loi sur les energies renouvelables (Erneuerbare-Energien-Gesetz, 2000) et les campagnes de sensibilisation du gouvernement. Il est vrai que les emissions de CO2 y sont encore superieures de 65 % a celles de la France ; mais le rejet de 100 millions de tonnes de gaz carbonique a ete evite en 2006 et plus de 70 % des eoliennes produites dans le pays ont ete exportees la meme annee . Fin 2008, le pays le plus industrialise d’Europe comptait quatre mille installations de biogaz en service, totalisant pres de 1400 megawatts de puissance electrique (l’equivalent d’une tranche nucleaire), entierement alimentes par des matieres naturelles inoffensives. Depuis 2006, Cuba ? pousse par ses difficultes economiques ? avance vers l’independance energetique et lutte veritablement contre le rechauffement climatique. En deux ans seulement, la ≪ Revolucion Energetica ≫ a reduit ≪ la consommation de kerosene (…) de 66 %, celle du gaz de 60 % et celle de l’essence de 20 % ≫ grace aux economies d’energie et au developpement de l’eolien et du solaire.

En Espagne, ou une sortie progressive du nucleaire est envisagee, 13 % de l’electricite est deja produite avec les energies renouvelable ; le 8 novembre, pendant plusieurs heures ? grace a de forts vents ?, 50 % de la consommation du pays a ete couverte par l’eolien. En debloquant des moyens importants (2 milliards d’euros), un pays du sud, le Maroc, vient de lancer un projet ambitieux de production electrique d’origine solaire. Cinq sites seront construits d’ici 2020 pour couvrir 42 % des besoins energetiques du pays (2000 megawatts), economiser un million de tonnes de petrole et eviter l’emission de 3,7 millions de tonnes de CO2.

Les pays du Golf, maitres du petrole et de son approvisionnement, se lancent a leur tour en investissant des sommes considerables dans la recherche et leur developpement. Abou Dhabi a ainsi commence la construction d’une ville ? Masdar, la cite modele ? sans dechets, sans carbone et… sans voitures.

Habituellement consideree comme une source mondiale de pollution du fait de son industrie, la Chine joue un role majeur dans le marche des energies renouvelables et se positionne, des 2007, comme le premier fabriquant d’energies vertes ; 98 % de sa production de cellules photovoltaiques sont destines a l’exportation .

Aveuglee par son passe industriel, la France continue d’ignorer son potentiel naturel. En deployant ses projets ≪ climaticides ≫ (relance de l’extraction du charbon dans la Nievre et transformation du port de Cherbourg en plate-forme de transbordement de houille), l’Etat accentue son retard dans ce secteur et fait un bond en arriere a l’heure ou l’interet pour les energies renouvelables est mondial.

Les collectivites locales, vecteurs d’une democratisation de l’energie, risquent pour leur part l’≪ etranglement ≫, selon M. Pascal Sokoloff, directeur general de la Federation nationale des collectivites concedantes et regies (FNCCR), du fait de la suppression de la taxe professionnelle et de la reforme a venir du taux des taxes locales sur l’electricite, moyens essentiels pour developper les energies durables. Un groupe d’experts et de praticiens de l’energie, regroupes au sein de l’association negaWatt, proposent depuis 2000 un nouvel approvisionnement energetique de la France. En pariant sur deux sources inepuisables ? les energies economisees et les energies renouvelables ?, ces specialistes envisagent la fermeture des centrales thermiques (fioul et charbon) et la sortie progressive et totale du nucleaire, a l’horizon 2035.

Loin d’un retour a la bougie, negaWatts propose un modele energetique compose a 71 % d’energies renouvelables creant des centaines de milliers d’emplois d’une tres grande diversite en termes de niveau de connaissance et de qualification, ≪ non delocalisables car lies a un territoire ou a des debouches regionaux ou nationaux ≫. Comme toute hypothese, ce scenario qui propose a la societe d’emprunter la ≪ voie du non-regret ≫, peut preter a discussion. Mais encore faudrait-il qu’il soit serieusement examine. En attendant, le sommet de l’Etat continue, imperturbable, a developper le nucleaire, en depit de ses couts et de ses dangers.