En politique extérieure, faire plus avec moins

[원문] 국익 앞에 무너지는 꿈과 원칙

2010-01-07     Michael Klare

En politique extérieure, faire plus avec moins

Par Michael Klare *

* Professeur à Hampshire College (Amherst, Massachusetts) et auteur de Blood and Oil : The Dangers and Consequences of America’s Growing Petroleum Dependency (2005).

Ces derniers temps, rarement un président américain n’est arrivé au pouvoir avec des objectifs aussi ambitieux dans le domaine de la politique extérieure que M. Barack Obama. Entré en fonction en janvier 2009, à un moment où la réputation internationale des Etats-Unis était sérieusement écornée, il entendait restaurer le prestige de son pays en s’attaquant à une vaste palette de problèmes : le désarmement nucléaire, la paix entre Israël et les Palestiniens, l’amélioration des relations avec la Russie, la réconciliation entre « l’Occident » et le monde musulman. Comme si cela n’était pas suffisant, il souhaitait aussi porter son attention sur des problèmes largement ignorés par le gouvernement de M. George W. Bush, comme la pauvreté dans le monde et le changement climatique. <<번역문 보기>>

Nombre de ceux qui ont soutenu M. Obama croyaient qu’il parviendrait à réaliser d’importants progrès sur ces questions durant la première année de son mandat. Ils ont été largement déçus. Cela reflète les attentes – peut-être un peu excessives – qu’ils nourrissaient à son égard, mais également une mauvaise appréciation de son tempérament et de l’environnement dans lequel il est contraint d’agir. C’est un dirigeant méthodique, pragmatique, peu enclin aux actions spectaculaires. Bien conscient des limites du pouvoir américain – plus importantes que celles rencontrées par tous les présidents des Etats-Unis de la période récente –, il évite de prendre des initiatives qui mettraient davantage à l’épreuve les moyens d’un pays aux déficits déjà abyssaux.

Si l’on fait un bilan de sa première année de gouvernement, il est important de rappeler qu’aucun chef d’Etat américain n’a d’emblée été confronté à un tel déclin. Il y a huit ans, lorsque M. Bush est devenu président, les Etats-Unis disposaient d’une économie solide, d’une armée apparemment toute-puissante et n’avaient pas d’adversaires sérieux.

Ces conditions enviables ont disparu. L’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak par M. Bush ont dissipé l’élan de sympathie dont avaient bénéficié le pays après les attentats du 11 septembre 2001. La prolongation de ces interventions les a de surcroit transformées en fiascos très coûteux, qui sapent le moral de l’armée américaine. Pendant ce temps, l’administration s’est affranchie des contraintes financières pour octroyer des prêts de manière inconséquente, ce qui a finalement conduit, à un effondrement économique.

Tenter d’enrayer le déclin constitue le maître mot de la politique extérieure de l’administration Obama. Comme le répètent le président et son équipe, il s’agit d’ « accomplir plus avec moins ». Pour y parvenir, ils croient à la persuasion plutôt qu’à la contrainte, à la discussion plutôt qu’à l’antagonisme, au compromis plutôt qu’à la rigidité, aux petits pas plutôt qu’aux grands.

On le voit, par exemple, dans les efforts faits pour gagner le soutien de Moscou dans la réduction des stocks d’armes nucléaires aux Etats-Unis et en Russie, et à l’expression d’une position plus radicale sur les activités d’enrichissement nucléaire de l’Iran. Sachant qu’il ne pouvait obtenir l’approbation du Kremlin par la colère et l’intimidation – l’approche développée par M. Bush –, le président Obama a accepté d’annuler les plans de déploiement d’intercepteurs anti-missiles en Pologne, un geste longtemps demandé par Moscou. Tout aussi révélatrice a été sa campagne pour revigorer les liens diplomatiques avec la Syrie, dans l’espoir d’affaiblir l’alliance Damas-Téhéran et de permettre l’ouverture de pourparlers de paix régionaux avec Israël.

Néanmoins, M. Obama a clairement laissé entendre à Oslo, dans son discours d’acceptation du prix Nobel de la paix, qu’il est – comme tous les présidents américains récents – tout à fait prêt à employer la force militaire lorsqu’il pense que les intérêts fondamentaux des Etats-Unis sont en jeu. Cela apparaît très nettement dans sa décision d’envoyer – temporairement dit-il – plus de soldats en Afghanistan, comme dans l’extension de l’usage des drones pour localiser et tuer des dirigeants d’Al-Qaeda au Pakistan.

Simultanément, M. Obama précise : « Nous ne pouvons compter exclusivement sur la force militaire. L’Amérique devra montrer sa force à travers sa capacité à mettre un terme à un conflit, à l’empêcher – et pas seulement à déclarer la guerre. » Cette perspective reflète une démarche prudente de planification stratégique entamée avant son arrivée à la Maison Blanche et poursuivie durant les premiers mois de son administration. Pour suivre ce processus et pour le conseiller sur les questions de politique extérieure, M. Obama a sélectionné des personnalités plus connues pour leur « pragmatisme » et leur « souplesse » que pour leurs positionnements idéologiques . En retour, ces conseillers ont soutenu le Président en mettant au point des stratégies qui reflètent les limites de la puissance américaine tout en visant l’optimisation de ses avantages naturels.

Les grandes lignes de cette approche ont été pleinement développées en avril dernier lors d’un symposium extraordinaire de deux jours sur les nouvelles perspectives stratégiques des Etats-Unis, à Washington. Organisé par l’Institut d’études stratégiques nationales (INSS) de l’Université de défense nationale, cette rencontre a vu les interventions de personnalités telles que Mme Michèle Flournoy, sous-secrétaire à la défense, M. James Steinberg, secrétaire d’Etat adjoint, et Mme Marie Slaughter, directrice de la planification politique au Département d’Etat .

Une idée fondamentale en est ressortie : les Etats-Unis doivent s’adapter à un monde dans lequel ils ne jouissent plus d’une suprématie incontestée. « Etant donné les changements radicaux en cours, nous devons distinguer les choses sur lesquelles nous pouvons agir et celles auxquelles nous devons nous adapter », a expliqué un fonctionnaire expérimenté. A propos de l’ascension de la Chine et de l’Inde, par exemple, il a confié : « Nous ne pouvons pas changer le cours des choses – il n’existe aucune recette plausible permettant de retarder [leur] croissance. » Au lieu de cela, Washington doit chercher à réunir ces pays dans la lutte contre des problèmes mondiaux tels que le sous-développement, le changement climatique et le désordre économique.

Inutile de dire que cela implique d’abandonner tout ce qui ressemble à de l’arrogance ou à du paternalisme. « Nous devons apprendre à diriger dans un monde horizontal et non hiérarchisé, a estimé un fonctionnaire du Département d’Etat. Nous ne pouvons dicter leur conduite à d’autres pays, nous devons user de persuasion. » Cela pourrait signifier, dans certains cas, travailler en dehors des sentiers battus diplomatiques, afin d’atteindre la population de certains Etats grâce à des moyens informels de communication.

Pour la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, cette approche peut être décrite comme « le pouvoir intelligent », c’est-à-dire « l’utilisation avisée de tous les moyens dont nous disposons y compris… notre puissance économique et militaire, notre aptitude à l’entreprendre et à innover, ainsi que les capacités et la crédibilité de notre nouveau président et de son équipe . »

M. Obama est cependant trop pragmatique pour croire que les avancées dans les domaines qui le préoccupent – désarmement nucléaire, paix au Proche-orient, éradication de la pauvreté, etc. – peuvent se produire s’il néglige les « intérêts nationaux » essentiels des Etats-Unis ou s’il s’aliène des électorats clés.

A un moment donné, il aurait été possible d’évoquer la restauration de la démocratie en Afghanistan et l’amélioration des conditions de vie de ses habitants. Cela ne semble plus à la portée de Washington – en tout cas pas à un prix que l’Amérique puisse supporter. Le choix – M. Obama doit l’avoir perçu – se situait donc entre une possible victoire des Talibans et une opération destinée à donner au président Hamid Karzai une chance de se racheter. Un autre sujet de préoccupation était de voir la victoire des Talibans en Afghanistan enhardir les forces talibanes au Pakistan. Cela aurait accentué le chaos dans ce pays.

La situation en Iran est un défi tout aussi épineux. Les préférences de M. Obama sont claires : concevoir une issue négociée au conflit sur l’enrichissement nucléaire, qui confirmerait sa foi en l’efficacité de la discussion en lieu et place de la confrontation. Pour y parvenir, il a tenté d’amener les Iraniens à la table des négociations tout en convainquant les Russes de la nécessité de sanctions en cas d’échec. Tout aussi important, il a persuadé les Israéliens de s’abstenir de toute action militaire tant que les pourparlers semblent progresser. Cependant, une épreuve de force paraît probable . Cela conduira vraisemblablement à des sanctions plus fermes envers Téhéran. Mais, puisqu’il est peu plausible qu’il puisse convaincre les Iraniens, M. Obama sera de nouveau confronté à l’éventualité d’un recours à la force militaire.

Concernant la Russie, le président cherche à établir des relations favorables au désarmement nucléaire et à la lutte avec l’Iran. Pour atteindre ses objectifs, il s’est efforcé de gagner la confiance du président Dmitri Medvedev et l’a félicité d’avoir rompu avec les habitudes de la Guerre froide, tout en condamnant son prédécesseur Vladimir Poutine adepte de « la manière ancienne de gérer les affaires ». Lors d’une série d’entretiens en tête-à-tête, M. Obama a obtenu le soutien de M. Medvedev pour une réduction importante, des deux côtés, des stocks d’armes nucléaires, et une promesse d’appliquer des sanctions contre l’Iran si elles se révélaient nécessaires. Toutefois, la dégradation des relations entre Moscou et l’Ukraine (voir notre article, page 5) ou d’autres républiques ex-soviétiques pourrait mener à des frictions avec Washington.

Enfin, s’agissant de Pékin, M. Obama a cherché à établir un nouveau cadre de relations qui prenne en compte le statut de superpuissance naissante de la Chine, tout en préservant la liberté d’action des Etats-Unis. Un tel cadre est nécessaire, selon lui, si on veut éviter une crise au sujet de Taiwan et s’assurer la coopération de Pékin sur des questions comme le réchauffement climatique et la prolifération nucléaire en Iran et en Corée du Nord. Mais il s’agit d’un projet ambitieux, compte tenu de l’inquiétude – assez répandue aux Etats-Unis – que suscite le poids économique croissant de la Chine.

Cette approche de M. Obama a été particulièrement claire lors de sa visite à Pékin en novembre 2009. Nombreux sont les Américains qui se sont montrés déçus, parce qu’il ne s’était pas prononcé sur les violations des droits humains au Tibet et sur la dépréciation artificielle de la monnaie chinoise. Cependant, le président Hu Jintao et lui ont signé, le 17 novembre, une déclaration de principe sur les futures relations entre leurs deux pays. Celle-ci pourrait fournir un cadre pour la coopération à long terme souhaitée par M. Obama. « Les Etats-Unis et la Chine ont une base de coopération de plus en plus large et partagent des responsabilités communes de plus en plus importantes sur de nombreuses questions essentielles portant sur la stabilité et la prospérité mondiales. »

Partout où c’était possible, M. Obama a tenté de convaincre de sa vision de relations internationales améliorées, mais il n’a pas hésité à abandonner une proposition lorsqu’elle suscitait une forte opposition à l’étranger ou dans son pays. En Amérique latine, sa politique ne s’écarte nullement de celle de M. Bush. Et, lorsque sa volonté de contraindre Israël à stopper les constructions de nouvelles colonies en Cisjordanie s’est heurtée à une résistance inflexible, il a tout simplement abandonné cette approche.